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La petite histoire du tatouage amazigh, par Tiziri Ait Ali

Dernière mise à jour : 18 oct. 2022

Pour cet article un peu spécial qui nous tenait beaucoup à coeur, j'ai choisi de faire appel à Tiziri Ait Ali, la co-créatrice de Tamazgha History. Tiziri est biologiste de formation. Elle a créé sa petite entreprise de cosmétiques naturels au Canada et elle consacre une partie de son temps libre à l'histoire ! Passionnée par la culture amazigh, mais aussi fascinée par le tatouage amazigh, elle a accepté de nous rédiger un article sur l'histoire du tatouage amazigh. Vous verrez c'est passionnant !

Femme et homme de Beni Mellal, Maroc, 1930 (d’après le site web Ajdad Al Arab).


Le tatouage amazigh : une pratique ancestrale


Le tatouage est une pratique ancestrale sacrée chez plusieurs cultures à travers le monde, adoptée par celles-ci comme moyen de s’identifier, communiquer, ou se protéger du mauvais sort, etc. Cette pratique se retrouve notamment chez les amazighs (berbères), ethnie native d’Afrique du nord, qui ont su préserver et transmettre cette tradition depuis des temps immémoriaux, mais elle vit un inquiétant déclin depuis le siècle dernier. A travers cet article, nous exposerons une histoire concise du tatouage amazigh, et découvrirons comment il a su s’adapter aux temps modernes.


L'origine du tatouage amazigh est bien incertaine, mais elle pourrait bien avoir pris naissance dans les plus anciennes traces de l’art rupestre africain datant du néolithique, plus précisément du Capsien (ca. 7500 – 4000 av. J.-C.), retrouvées en Afrique du nord, comme l’a attesté Gabriel Camp, préhistorien et spécialiste de l’histoire des amazighs. Cet art néolithique, se caractérisant par des symboles archaïques géométriques, aurait très probablement inspiré le tatouage, mais aussi les décors de la tapisserie amazighe, ainsi que celle de la peinture sur la poterie et les murs. Sur des fresques préhistoriques, comme celle du Tassili n’Ajjer par exemple, nous pouvons dès lors apercevoir des marques sur le corps de certains personnages, mais il est difficile de dire si ce sont des tatouages ou de la peinture.

À gauche : Céramiques du Néolithique ancien à décor incisé du Rif oriental et du Tell algérien (d’après J. Daugas et al., 2008, fig. 9). À droite : Céramique de la phase récente du Cardial de la péninsule Tingitane (groupe lusitano-marocain): El Khil, les Idoles et Oued Tahadart (d’après El Idrissi 2011) (d’après A. Ballouche, 2012, fig. 4).


Les premiers vestiges du tatouage amazigh dans l'Egypte antique

Nous avons conservé de l’art égyptien les toutes premières représentations de l’histoire du tatouage amazigh. En effet, plusieurs vestiges de l’Égypte antique, datant de plus d'un millénaire avant J.-C., révèlent des anciens libyens aux bras et aux jambes lourdement tatoués (« libyen » est l’appellation donnée aux ancêtres des imazighen par les grecs, les égyptiens et certains auteurs latins durant l'antiquité). Il faut savoir que dans l’art égyptien, la femme libyenne est très peu présente et ne possède pas de tatouages, mais on ne peut totalement affirmer que ce peu d’évidences suffise pour conclure que les femmes amazighes de l'antiquité ne se tatouaient pas.

Les hommes libyens, quant à eux, ne sont pas tous figurés avec des tatouages; ce qui pousse certains historiens, comme Oric Bates, à penser que c'était peut-être une pratique exclusive aux chefs ou aux hommes de haut rang. Une autre forme de décoration de la peau est mentionnée par Hérodote, auteur grec de l’antiquité (ca. 484 – 425 av. J.-C.), qui affirme que deux tribus libyques (ou libyennes), les maxyes et les gyzantes, se maculaient le corps d’ocre rouge. Concernant les méthodes de tatouage utilisées durant cette période, aucune trace ne fut préservée.


De gauche à droite : 1. Un prisonnier libyen sous les trônes d’Amenhotep III et son épouse, la reine Tiye (XIVe siècle av. J.-C.), retrouvé en Égypte dans la tombe TT 120 de Anen, son chancelier. Reproduction de Nina de Garis Davies, tempera on paper, at Qurna for the Egyptian Expedition of the Metropolitan Museum of Art, 1931. 2. Faïence d’un prisonnier libyen, Medinet Habu, Palace de Ramsès III (XIIIe – XIIe siècles av. J.-C.). Antiquities Service Excavations of 1910. JE 36457 D, A Cairo Antiquity Museum. 3. Chef libyen, fresque du Livres des Portes montrant les quatre races, tombe KV17, chambre No. 5 de Seti I er (XIIIe siècle av. J.-C.), Vallée des rois, Nécropole de Thèbes (Louxor), Égypte par Theban Mapping Project.



De l'Egypte antique au XIXème siècle : une pratique transmise oralement

Les amazighs, appartenant à une culture de tradition orale, n'ont pas laissé d’écrits connus sur le sujet de la pratique du tatouage durant ou après l'antiquité. Outre les représentations de l'Égypte antique qui nous apportent de précieux éléments de réponse, il a fallu attendre les études anthropologiques menées durant la colonisation européenne de l’Afrique du nord, au XIXe et XXe siècles de notre ère, afin d’en savoir plus sur le tatouage amazigh. Ces études anthropologiques, ainsi que la tradition orale, nous ont permis de comprendre que le tatouage entre dans un cadre de rites médico-magico-religieux qui sont toujours de coutumes chez les populations amazighes isolées où l’Islam n’a que partiellement intégré les croyances païennes, car il faut savoir que le tatouage a vu un vif déclin depuis le siècle passé dû aux dogmes de l’Islam qui condamnent fermement toute forme de mutilation du corps.


Pourquoi et comment les amazighs étaient tatoués ?

La pratique du tatouage est liée à diverses raisons, tel que pour indiquer un statut social, exprimer un sentiment, pour des raisons prophylactiques, se protéger du mauvais œil, ou à titre ornemental, etc. C’est une forme de scarification du corps qui consiste à piquer ou inciser la peau selon le motif souhaité.


Ces motifs, inspirés de la nature ou objets du quotidien par exemple, sont réalisés, dans certaines régions, à l’aide d’une pointe d’aiguille ou d’épines de cactus passées au feu pour le piquetage. Quand il est question d’incisions, un scalpel ou un couteau-rasoir bien aiguisé est dans ce cas employé, mais ceci est rarement pratiqué sur le visage. Afin que les motifs prennent forment, l’étape suivante consiste à frotter la peau avec un mélange d’antimoine (khol ou tazult) ou du noir de fumée légèrement mouillé. La dernière étape viendra renforcer la couleur des motifs, et pour ce faire, il faut appliquer une pâte issue d’un mâcérat de « feuilles de fèves, des grains de blé germés ou encore de morelle noire. […] On applique cette pâte en frottant bien la peau non encore cicatrisée, et cela plusieurs fois dans la semaine. Au bout d’un mois, la femme fait brûler de l’étoffe bleue ou noire si elle veut un effet plus foncé. Elle mélange les cendres avec un peu d’huile et en enduit les dessins. Quand c’est bien sec, les tatouages sont alors indélébiles». (L. Brousse, 2012)


Les symboles utilisés lors du tatouage et leurs significations diffèrent d'une région à une autre, et ils peuvent être exécutés sur toutes les parties du corps. Femmes et hommes s’adonnent à ce rite traditionnel selon les tribus, qui reste par contre plus présent et ornemental chez les femmes. Au début du siècle dernier, J. Bouquet témoigne de l’existence en Tunisie d’artistes tatoueurs (ouachchâm) qui « gagnaient très largement leur vie et dont la réputation s'étendait dans toute une région » (J. Bouquet, 1936), mais qui auraient disparu.


Tatouage du visage (Tunisie) (d’après M. A. Haddadou, 2000).


Tatouages amazigh : la relève tu tatouage éphémère

Depuis un certain nombre d’années, et notamment suite au tabou religieux, les tatouages éphémères tels que le henné, le harqus, et le dessin corporel au crayon se retrouvent de plus en plus employés, puisqu’ils sont d’excellentes alternatives au tatouage traditionnel permanent par scarification ou au tatouage moderne à l’encre.

À noter par contre que l’utilisation du henné est antérieur à l’Islam. Le tatouage à l’encre, quant à lui, se voit monter en popularité au courant de cette décennie chez les jeunes maghrébins avec l’influences de la mondialisation et des réseaux sociaux. Outre l’aspect moderne de l’encre noire, on peut constater que les artistes tatoueurs et / ou le client choisissent sans distinction des symboles du tatouage et ceux de l’artisanat (poterie, tapisserie) qu’ils placent sur la partie du corps désirée, et non pas selon où le motif devrait traditionnellement se trouver.


Enfin, le tatouage amazigh est sans conteste, un art qui défie les siècles! Le fait qu’il ait pu perdurer depuis au moins deux millénaires démontre à quel point le folklore est très conservateur des traditions, contrairement à ce qu’on pourrait croire, mais jusqu’à quand?

Cette pratique « risque de disparaitre avec les femmes âgées qui en sont encore marquées, comme en témoignent les photos de grand-mères». (L. Brousse, 2012) Les raisons de ce déclin sont diverses, entre religion et influences de la mondialisation, mais le tatouage amazigh a su s’adapter aux tendances de tatouage moderne éphémère ou à l’encre qui coïncident avec l’éveil et le combat identitaire que mène la jeunesse amazighe pour la reconnaissance et la préservation de leur langue et de leur culture. La survivance de cette tradition, et du patrimoine amazigh, reposent à présent sur l’espoir que porte les générations futures.


Tatouage amazigh moderne à l’encre de l’artiste tatoueuse @Adasiya_Kahina


Parenthèse : tatouages et appropriation culturelle

Un nouveau sujet d'actualité vient de plus en plus s’intéresser au tatouage amazigh, et qui est « l’appropriation culturelle ». Certains artistes tatoueurs étrangers (pas tous) découvrent les symboles sacrés et ancestraux amazighs sur les réseaux sociaux ou lors d’un voyage au Maroc, et décident de s'en accaparer sans faire absolument aucune mention de leur origine, et ce pour leur intérêts et profits personnels. Cela ne vous rappelle-t-il pas le plagiat? Ceci représente en effet un manque de respect pour la culture amazighe et pour nos ancêtres qui les ont préservé au cours des siècles. L'appropriation culturelle, à ne pas confondre avec l’appréciation culturelle, est un phénomène qui nuit et menace l’intégrité d’une culture (le plus souvent des cultures opprimées) qui lutte pour préserver son patrimoine et son identité.



Article rédigé par Tiziri Ait Ali , co-créatrice de @tamazgha.history le 09/09/2021



Bibliographie

Bates, O., “The Eastern Libyans, An Essay”, MacMillan and Co. Limited St. Martin’s Street, London 1914. Ballouche, A., et al., « Néolithisation et néolithique ancien du Maroc », Encyclopédie berbère, 34 | 2012, 5499-5512. Bouquet, J., « Tatouages décoratifs tunisiens », In: Revue d'histoire de la pharmacie, 24e année, n°93, 1936. Brousse, L., et Ocre, E., « Beauté et identité feminine: lewcam, les tatouages féminins berbères, régions de Biskra et de Touggourt », Dar Khettab, Alger, 2012. Camps, G., « Avertissement », Encyclopédie berbère, 1 | 1984, 6–48. Camps, G., « Les berbères. Mémoire et identié. », Actes Sud, 2007. Daugas, J., et al., « Le Néolithique ancien au Maroc septentrional: données documentaires, sériation typochronologique et hypothèses génétiques», In: Bulletin de la Société préhistorique française, tome 105, n°4, 2008. Haddadou, M. A., « Guide de la culture berbère », Paris Mediterra, 2000. Herodotus, “The Histories”, from the 1890 Macmillan edition, text placed on line by Project Gutenberg, ca. 430 BC, § 4.191, 4.194 (trans. by A. D. Godley, 1920).


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