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Témoignage #3 : Amel

Dans cette série d’articles, nous partageons vos histoires. Celles de vos familles, de vos grands-mères et arrières-grands-mères tatouées. Elles vous ont parfois parlé de leurs tatouages, parfois très peu. C’est pour cela que nous voulons recueillir ici vos témoignages. Transmettre pour ne pas perdre leur histoire. Faire vivre leur culture pour la rendre intemporelle.


Amel.


Ma Jeda,


Je garderai en moi les souvenirs de cette cour, remplie d’amour, remplie de toi.


Je te revois la traverser, ornée de tes broches berbères, un foulard sur la tête, laissant apparaître tes cheveux soigneusement tressés.


Dans cette cour, je t’imagine.


Les hirondelles ont fait leur nid.

Les piments sèchent et ils sont assortis à ta robe.


Tu prépares la semoule.

Tu piles le piment pour la Salata Méchouia du soir.

Tu envoies une cousine courir après la poule qui servira de festin collectif.

Tu fais chauffer le thé à la menthe sur le Kanoun.


Je te revois posée en tailleur, entourée de tous les enfants que tu as élevés, d’une façon ou d’une autre.


Je te vois, quand l’air se fait plus doux, aller t’installer devant la maison et observer les moutons au loin.

A tes côtés, on mange du Tabouna tout juste sorti du four traditionnel en terre cuite.


Je revois la femme courbée et souple qui asperge cette cour d’eau pour lui redonner sa fraîcheur.

Je revois la femme libre qui renifle son « Neffa ».


Je te vois, les clés à la main ou accrochées à ta « Jebba », t’assurer que ton temple soit bien gardé.


Allongée sur un matelas au sol, c’est l’heure de la sieste,

Tu chasses les mouches d’un geste tendre avec ton foulard,


Installée sur les genoux, c’est l’heure de la prière,

Tu remercies Allah les yeux entrouverts,


Ce lieu est chargé de toi,

Pour t’y être mariée,

Pour y avoir donné la vie,

Pour y avoir perdu des enfants,

Pour y avoir fondé, avec tant de courage.


Quand j’arrive chaque été, tu es la première que je cherche.

Je te ressens dans ton calme et ta tendresse.

Et puis je te trouve, on se serre, on pleure du bonheur de se retrouver.

Quand je repars sur les petits chemins de terre bordés d’oliviers, et que je me sens m’éloigner de toi, je ne peux retenir mes larmes.


A toi, la femme tatouée ...

Ces tatouages dont tu ne m’as jamais parlé,

Peut-être parce que notre communication ne passait pas vraiment par les mots.

Ces tatouages, je crois que c’était ton jardin secret, ton espace à toi.

Ils te sublimaient. Ils te rendaient exceptionnelle.


C’est comme un héritage. Comme un bout de toi. Comme une transmission.

Sur ta peau douce et fripée, je me revois les caresser.

Ce petit sur ton bras gauche, et ceux de ton visage.


Alors finalement, peu importe si je n’ai pas les mots. La symbolique les dépasse. L’affection aussi.

Et je suis intimement convaincue que les gestes sont parfois bien plus intenses.


Aujourd’hui, assise dans cette cour, je ne peux m’empêcher d’espérer que tu vas sortir d’une pièce, les mains jointes dans le dos, comme à ton habitude.


Il y a cet oiseau posé sur le fer forgé de la fenêtre, j’ai l’impression que lui aussi te cherche.


Avec toi, c’est comme si chacun.e trouvait sa place.

Grâce à toi, je me prépare à me faire une place dans ce monde.

Nourrie de toi, j’ai plus de certitudes sur mon identité.


Je conterai à qui veut bien l’entendre, mes souvenirs de toi, de cette cour, de ces tatouages.

Sidi Mahmoud, ce village ou tu as vécu, entourée des tiens.

Kairouan n’est qu’à 20km, mais ce n’est pas ton monde.

Tu préfères les paysages arides, les figues de barbarie, les champs de pastèque et de « Batir».

Les montagnes au loin, et le paysage qui change au gré des saisons.

La terre sèche.

Le son de l’appel à la prière qui résonne de la mosquée lointaine.


Sidi Mahmoud, ce lieu où l’on respecte le silence, et ou les étoiles scintillent comme nulle part

ailleurs.


Je m’appelle Amel, mon prénom signifie l’espoir.

Je suis franco-tunisienne.

J’ai grandi dans un village des « terres froides » de l’Isère.

Chaque année, j’embarquais, voiture à ras du sol et comme des milliers d’autres, à bord du bateau qui nous conduisait jusqu’à elle.


Je tenais à témoigner pour rendre hommage à ma « Jeda », sans qui je ne serais pas la même.

Je tiens à faire perdurer sa mémoire de femme berbère.

A ces broches qui ont été léguées à son unique fille.

A ces tatouages qui la représentent au-delà de tout le reste, même si personne ne sait vraiment, je crois, ce qu’ils signifiaient à ses yeux.

Je souhaite que son repos soit à la hauteur de la vie généreuse qu’elle a menée.





Un grand merci à Amel pour son magnifique texte et pour ses incroyables photos.

C'est avec beaucoup d'émotion que nous le publions aujourd'hui.


Appel à témoignages :


Vous aussi, vous aimeriez partager l'histoire de votre famille ? Votre parole est précieuse : écrivez-nous ici.

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